Mamadou Safayiou DIALLO, analyste Economique
Malgré la volonté affichée du Président de la Transition à mettre fin à la fixation arbitraire des prix (notamment des denrées alimentaires de première nécessité en cette période de ramadan couplée avec le carême chrétien), la situation reste encore sens dessus dessous. Pour permettre aux citoyens de passer un bon ramadan, nous avons même assisté à des tentatives de fixation des prix de certaines denrées alimentaires de première nécessité. En dépit de ces mesures, les marchés n’ont pas obéi aux consignes données compte tenu de l’inefficacité des dispositions prises.
Comme nous l’avions souligné dans notre précédente analyse sur le sujet, les autorités du pays ont voulu utiliser des solutions conjoncturelles (court terme) pour lutter contre un phénomène structurel (long terme). Nonobstant, il convient de rappeler que la hausse des prix que nous connaissons aujourd’hui est un phénomène mondial en raison des conséquences néfastes de la covid-19 sur l’activité économique. Elle trouve également son explication dans les sanctions imposées à la Russie ayant ainsi occasionnées un choc d’offre de l’énergie et de l’alimentation suite à la guerre en Ukraine. C’est ce qui a d’ailleurs participer à la perturbation des chaînes d’approvisionnement de la logistique en créant des goulots d’étranglement.
Cependant, nous ne pouvons continuer à dépendre éternellement des importations de ces denrées alimentaires que nous pouvons produire chez-nous car nous avons des conditions climatiques très favorables. De plus, le secteur agricole guinéen a été longtemps présenté comme un secteur porteur de croissance, vecteur du développement et du maintien du bien-être des populations. A titre de rappel, la Guinée dispose de près de 6,2 millions d’hectares de terres cultivables dont 25% seulement sont cultivés annuellement. Le potentiel de terres irrigables est également estimé à 364.000 ha dont 30.200 actuellement aménagées selon le rapport de la FAO de 2014.
Malgré ces potentialités, la Guinée reste encore prédominée en grande partie par l’insécurité alimentaire. A fin décembre 2018, les résultats de l’enquête de l’Analyse Globale de la Vulnérabilité, de la Sécurité Alimentaire et de la Nutrition (AGVSAN) révèlent que 21,8% des ménages guinéens sont en situation d’insécurité alimentaire, soit 2 459 419 personnes. Parmi ces ménages, 2,4% sont en insécurité alimentaire sévère soit l’équivalent de 272 585 personnes. Les zones les plus touchées par cette situation sont entre autres : N’Zérékoré avec 29,3%, Mamou et Labé avec des insécurités alimentaires modérées touchant respectivement 26,8% des ménages et 23,4% des ménages etc.
En dépit de cette situation, l’agriculture est pratiquée par la majeure partie la population guinéenne. De plus, 57% des populations rurales tirent leur revenu de l’agriculture. Selon le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP3 élaboré en 2011 dans le cadre de l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative Pays Pauvre Très Endettés), l’agriculture est un secteur privilégié pour l’atteinte des objectifs de sécurité alimentaire et de la réduction de la pauvreté.
Au cours de la décennie écoulée, la croissance moyenne annuelle enregistrée par le secteur agricole tourne autour de 4%. A notre entendement, cette insuffisance trouverait son explication dans la politique économique menée jusque-là par l’Etat guinéen. En examinant la Loi de Finance 2022, l’on constate avec regret que la part du budget allouée au secteur agricole ne représente que 4,6% contre 7,2% dans le budget 2018 (suivant la déclaration de Maputo de 2003, l’Union Africaine a engagé tous ses Etats membres à accroître leurs investissements dans le secteur de l’agriculture, à hauteur au moins de 10% de leur budget national) contre à minima 15% dans la sous-région ouest africaine. Ce qui est à notre sens déplorable car, tous les économistes du monde entier sont unanimes que l’agriculture est la pierre angulaire du développement et l’industrie son moteur.
L’insuffisance de politique agricole fiable et la faible part du secteur agricole dans le budget de l’Etat constituent non seulement un frein au développement de ce secteur mais aussi et surtout, explique à notre sens l’insécurité alimentaire dans laquelle se trouve les ménages guinéens. Toutefois, un nouvel élan est en train d’être pris du côté de ce Ministère avec l’avènement du Ministre Nagnalen qui a parcouru ce dernier temps tout le pays en vue de toucher du doigt la réalité du terrain. Nous osons espérer que cette fois-ci, nous saurons relever ce défi.
Au terme de cette petite analyse, nous pensons que pour mettre fin à cette situation que nous vivons aujourd’hui bien que n’étant pas spécialiste du domaine, l’Etat (en plus des nouvelles instructions du Président du CNRD à ses départements ministériels), devrait s’attaquer aux causes profondes de cette problématique afin de mettre en place des stratégies allant dans le sens de sa résolution de manière pérenne. Cela passera à notre humble avis par la création des conditions favorables au développement de l’agriculture. Ceci ne sera possible que si nous parvenons à mobiliser les ressources financières requises pour le développement dudit secteur. De plus, l’Etat devrait créer les conditions pour favoriser l’utilisation des terres cultivables et irrigables (taux d’utilisation très faibles). Par la même occasion, il devrait faciliter l’accès aux intrants agricoles dans les zones les plus vulnérables puis permettre aux populations d’obtenir des crédits avec des modalités de remboursement moins contraignantes, surtout pour les petits agriculteurs etc.
Safayiou DIALLO, Citoyen guinéen