Chamboulée par la guerre en Ukraine, la géopolitique mondiale pourrait aussi être profondément modifiée par le réchauffement climatique, estime Guillaume Bagnarosa, enseignant-chercheur à Rennes School of Business (RSB). Pour ce spécialiste, les frontières agricoles pourraient ne plus rien à voir avec celles d’aujourd’hui, laissant craindre, dans 10 ans, des risques d’affrontement pour l’accès à la nourriture.
« Poutine n’a aucun intérêt à lutter contre le réchauffement climatique, lance Dr Guillaume Bagnarosa, Associate Professor of Finance, à Rennes School of Business. Au contraire, il anticipe le dégel du sud de la Sibérie en donnant, depuis 2016, gratuitement ou presque, des terres à des agriculteurs russes pour les préparer. La production agricole de la Russie pourrait alors bondir de plusieurs millions de tonnes en 50 ans. »Le pays a d’ores et déjà modernisé ses exploitations. Premier exportateur mondial de blé, la Russie concurrence même la France sur ses marchés phare comme l’Algérie. « La pandémie et maintenant la guerre montrent bien que les terres agricoles sont des richesses essentielles. Les puissances de demain seront des pays producteurs. » Nul hasard pour lui si les Chinois achètent des terres arables en Australie, en Afrique ou encore au Brésil. Une nouvelle géopolitique autour de l’agriculture pourrait alors se former : « À mon avis, la Russie a pour ambition d’étendre son influence en devenant le grenier du monde », ajoute Guillaume Bagnarosa.
Produire plus malgré les contraintes environnementales
Pour ne pas rester à la traîne, l’Europe doit avoir une politique agricole ambitieuse : « la PAC a été fortement critiquée mais elle est nécessaire si le continent veut rester un producteur de premier plan. » Surtout si l’Europe veut agir contre le réchauffement climatique en s’imposant des contraintes comme réduire l’usage des engrais, favoriser la production de biogaz. « Oui, mais alors comment produire plus ? Le biogaz est-il une bonne solution si les méthaniseurs sont alimentés en partie par du maïs de culture ? », interroge Guillaume Bagnarosa, qui évoque aussi les questions de frontières agricoles.« Aujourd’hui, l’autonomie alimentaire est plébiscitée ! Tout le monde semble se replier sur soi. Mais cela va inévitablement créer des tensions. Se fermer condamnerait d’autres pays du monde à la famine et nous couperait de zones d’influence d’importance. Le risque de nouvelles guerres est réel et le drame qui se joue en Ukraine est peut-être le premier conflit pour la nourriture auquel nous assistons. En effet, la Russie attaque aujourd’hui le 4e plus gros exportateur de blé au monde et le plus important en huile de tournesol. »
« Combien de bouches peut-on nourrir ? »
Les enjeux en termes d’agriculture semblent sans fin. En déclarant, en 2021, vouloir soutenir la production de soja française, Emmanuel Macron a provoqué la colère du Brésil, qui exporte pour 4,5 milliards d’euros de soja en Europe. Le président français estime lui qu’augmenter la production nationale est un moyen de lutter contre la déforestation de l’Amazonie et une manière d’investir dans la filière protéinique, amenée à se développer dans les années à venir. « Quel que soit l’enjeu, la seule question à la fin c’est : combien de bouches peut-on nourrir ? Et c’est cela qui va déterminer la géopolitique de demain », conclut Guillaume Bagnarosa.
AGRONEWS Guinee avec Ouest France